Le néologisme de Serge Doubrovsky, l’autofiction, éloigné souvent de son acception originelle, s’applique aujourd’hui à deux fromes d’écritures différentes. D’une part, des auteurs comme Vincent Colonna et Philippe Forest la définit comme une fiction du « je», le roman du « je » ou la vie de l’auteur à l’image de la fiction. Ainsi, beaucoup d’œuvres littéraires peuvent se qualifier d’autofictionnelles dans la mesure où nombreux sont les écrivains qui ont cherché à évoquer leur vécu personnel à travers leur roman. Dans cette optique, l’autofiction serait synonyme de roman (à caractère) autobiographique, donc une conception qui nous paraît non pertinente pour définir le roman extrême contemporain. D’autre part, l’autofiction constitue une nouvelle forme d’autobiographie échappant à la définition du genre autobiographique donnée par Ph. Lejeune. Autrement dit, écritures autobiographiques originales qui se distinguent de l’autobiographie par l’ambiguïté de l’instance énonciative (le narrateur-personnage évite de signer visiblement le « pacte autobiographique » dans le texte et de rattacher clairement le « je » au nom de l’auteur même si tout porte à croire qu’il s’agit de la même personne) ou bien par le déplacement de la centralité du « je » (l’auteur-narrateur ne se présente pas forcément comme le personnage principal du récit et, même si l’authenticité du « je » narrateur et des événements évoqués s’avère évidente, il ne s’agit pas de l’ « histoire de la personnalité » de l’auteur, ni de parti pris pour l’individualité de l’histoire). Dans cette perspective, la fiction ne relève pas de l’imaginaire mais de la discontinuité du récit défiant le « pacte » qui, à force de vouloir trop garantir l’authenticité de l’histoire, finit par en faire renforcer les artifices. De ce fait, contrairement aux idées reçues, l’autofiction se caractériserait comme une tentative de réduire l’individualité de l’écriture de soi, cherchant à éviter les pièges du pacte autobiographique qui rend le récit subjectif. Cette recherche de l’objectivité caractérise notamment l’œuvre d’Annie Ernaux. Partant des romans autobiographiques, elle met en œuvre une nouvelle posture d’écriture qui, refusant catégoriquement le roman, développe le vécu de l’auteur dans une démarche de dépersonnalisation des expériences personnelles. Ainsi, l’évolution de l’écriture ernausienne tracerait-elle celle des écritures de soi dans la littérature de ces dernières décennies, de l’autobiographie à l’autofiction.

کلمات کلیدی